O. Pavillon: Des Suisses au coeur de la traite négrière

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Titel
Des Suisses au coeur de la traite négrière. De Marseille à l’Île de France, d’Amsterdam aux Guyanes (1770–1840)


Autor(en)
Pavillon, Olivier
Erschienen
Lausanne 2017: Antipodes
Anzahl Seiten
159 S.
Preis
€ 21,00
URL
von
Tissot Laurent

Comment comprendre, expliquer, interpréter cette grosse tache sombre dans l’histoire de l’humanité qu’a été l’esclavagisme ? Même si son histoire est maintenant bien connue – plusieurs ouvrages en ont retracé les grandes articulations politiques, économiques, financières, sociales, psychologiques et logistiques – ces questions reviennent sans cesse. Elles sont d’autant plus présentes à la lecture de l’ouvrage d’Olivier Pavillon qu’elles concernent les activités de Vaudois et de Neuchâtelois dont les noms – Larguier des Bancels, d’Illens, van Berchem, Roguin, Berthoud – nous sont familiers, sinon connus1. Au-delà des aspects moraux qui sous-tendent qu’on le veuille ou non des activités qui, tout au long de la chaîne du processus, restent d’une incroyable cruauté et d’une profonde barbarie, s’intéresser à l’esclavagisme interpelle par la somme des moyens mis en oeuvre, l’ampleur des enchaînements opérationnels qui le façonnent et la complexité des mécanismes de décisions qui l’animent.

La compréhension de phénomènes aussi dévastateurs humainement demande l’examen exhaustif des contextes dans lesquels des pratiques, si incompréhensibles soient-elles aujourd’hui, n’en sont pas… moins compréhensibles et justifiées au moment où elles sont activées. Olivier Pavillon montre les difficultés qui entourent ce genre de recherches. Retrouver des noms (commanditaires, associés, intermédiaires), des initiatives commrciales et financières, des investissements, des participations et les suivre sur la durée requièrent une dose infinie de patience et un degré très élevé… d’obstination. Mais le résultat en vaut la peine. En recourant aux correspondances, aux documents d’état civil, aux documents comptables, aux témoignages, aux journaux personnels, et d’autres sources publiques et privées (passeports, contrats, sentences de tribunal, etc.), en les recoupant, il parvient à saisir les modalités qui entourent la gestion de ces affaires, les réseaux qui s’y déploient, les formes qu’elles ont prises et les justifications qui sont données. L’intérêt des études d’Olivier Pavillon est de repartir à l’origine même de l’implication de ces personnes dans ce qui pouvait aboutir, à terme, soit à la richesse, soit à la ruine tant les risques étaient élevés ce qui n’est pas une excuse. La généalogie des circonstances, notamment familiales, qui amènent à entrer dans la traite négrière nous en dit beaucoup sur les raisons des participations. Prétendre que la pauvreté sert d’amorce serait excessif. Mais dire que la perspective d’un enrichissement est primordiale est très vraisemblable. C’est dire aussi qu’on touche là, sans qu’il soit l’unique déterminant, à un des rouages de l’émergence du capitalisme comme mode de production. On reste tout de même frappé par l’enchevêtrement des facteurs qui guident ce genre d’opérations, soit dans le négoce soit dans l’exploitation même des plantations. Rien n’est simple dans un univers marqué par une très forte concurrence entre les intervenants et les impondérables économico- climato-politiques qui ne cessent de transformer les conditions. On reste aussi stupéfait par la capacité de communication de ces mêmes intervenants qui agissent, à quelque niveau que ce soit, dans des conditions extrêmement difficiles pour obtenir les résultats escomptés. Même en prenant du temps et sur des distances très grandes, les informations transitent, circulent et secondent puissamment les décisions. On reste encore ébahi par la puissance de résistance du système qui réclame sans cesse des dispositifs flexibles pour détourner les embarras autant politiques qu’économiques ou religieux qui naissent à tous les maillons de la chaîne d’activité. In fine, on ressort convaincu de la dominante des intérêts familiaux qui demeurent, à bien des égards, le socle de toute action et, en conséquence, de la pérennisation du système. Comprendre l’esclavagisme passe par le démontage impératif des entreprises familiales qui naissent, se développent et meurent dans son sillage.Les trois cas développés par Olivier Pavillon le démontrent clairement. Ils n’aboutissent pas à conclure que ces Suisses étaient meilleurs ou pires que les milliers d’autres participants qui, dans le reste du monde, s’adonnaient, d’une façon ou d’une autre, à la traite négrière. Ils démontrent le haut degré d’interconnexion atteint par l’économie suisse dès le XVIIIe siècle. De ce point de vue, ils soulignent une constante qui ne fait que s’affirmer au cours des XIXe et XXe siècles et qui est d’une éclatante actualité aujourd’hui.

1 Les lecteurs de la Revue historique neuchâteloise auront déjà eu connaissance de l’article surAlfred Jacques Henri Berthoud publié en 2013.

Zitierweise:
Laurent Tissot: Rezension zu: Olivier PAVILLON: Des Suisses au coeur de la traite négrière. De Marseille à l’île de France, d’Amsterdam aux Guyanes (1770-1840), préface d’Olivier Grenouilleau, postface de Gilbert Coutaz, Lausanne, Antipodes, 2017. Zuerst erschienen in: Revue historique neuchâteloise, Vol. 1-2, 2018, pages 194-196.

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Zuerst veröffentlicht in

Revue historique neuchâteloise, Vol. 1-2, 2018, pages 194-196.

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